Début du mois de septembre, je vous présentais trois titres,envoyés de la part d’Encre Fraîche. J’ai adoré ces lectures, et j’ai été curieuse de découvrir cette maison d’édition qui m’était inconnue au bataillon.
J’ai posé quelques questions à Alexandre Regad, président de l’association des éditions Encre Fraîche depuis plus de dix ans, afin d’en apprendre un peu plus sur cette maison surprenante!
Pouvez-vous vous présenter et présenter la maison d’édition ?
Je m’appelle Alexandre Regad et je préside l’association des éditions genevoises Encre Fraîche depuis 2009. Nous avons un comité, composé de trois personnes (Adriana Passini et Catherine Demolis, en plus de la présidence), et une commission littéraire, qui compte cinq membres. À ce jour, nous avons publié 76 livres.
Qu’est-ce qu’une maison d’édition associative ? Qu’est-ce qui la différencie des autres maisons d’éditions ?
Le fait de fonctionner sur le mode associatif signifie que les membres d’Encre Fraîche sont bénévoles. Il s’agit donc de passionné-e-s qui œuvrent sur leur temps libre. Cela nous permet d’avoir une grande liberté de choix des textes, puisqu’il n’y a aucune logique économique qui guide nos publications. Depuis son origine, Encre Fraîche souhaite porter ses ouvrages au-devant du public en organisant de nombreuses manifestations littéraires, comme des balades littéraires (à pied, à vélo ou même à pédalo) et des lectures dans des lieux non-institutionnels. Nous avons également créé le Salon des Petits Éditeurs, dont la septième édition a lieu en novembre 2021, à Chêne-Bougeries, dans le canton de Genève, et qui réunit 39 maisons d’édition.
Comment en êtes-vous venu à lancer Encre Fraîche ? Souhaitez-vous répondre à un manque qu’il pouvait y avoir dans la littérature suisse, comme l’a fait par exemple BSN Press avec les romans noirs ?*
Nous avons commencé à publier en 2004. À l’origine, quelques amis avaient connaissance d’un manuscrit du Lausannois Olivier Sillig. Il s’agissait de La Marche du Loup. Ce roman très puissant, qui se déroule dans un Moyen Âge fantasmé, ne trouvait pas d’éditeur, ce qui nous semblait incompréhensible. L’idée de créer une maison d’édition pour que ce texte puisse exister a alors surgi. Nous souhaitons depuis le début servir de tremplin et donner leur chance aux primo-romanciers, car la majorité des maisons d’édition sont très frileuses par rapport aux nouvelles et aux nouveaux auteur-e-s qui n’ont aucune notoriété. D’ailleurs, plusieurs de nos auteur-e-s ont connu de beaux succès dans d’autres maisons d’édition par la suite, à l’instar d’Arthur Brügger et d’Olivia Gerig.
Pouvez-vous présenter la ligne éditoriale ?
Les éditions Encre Fraîche publient 5 romans et recueils de nouvelles par année, ainsi qu’un recueil poétique. La commission littéraire n’a pas de ligne éditoriale figée, mais préfère suivre les coups de cœur partagés par la majorité de ses membres. Nous privilégions les chemins de traverse, en choisissant des textes audacieux et surprenants, qui présentent des qualités littéraires certaines. Par ailleurs, nous lançons chaque année un concours d’écriture, dont les textes lauréats sont publiés dans un recueil. Le douzième concours, lancé en novembre 2021, a pour thème « Sur un fil ».
Quel est l’ouvrage qui a fait le plus parler de lui (à sa sortie ou par la suite) ?
Il y en a eu deux : L’Ogre du Salève d’Olivia Gerig et Les battantes de Simona Brunel-Ferrarelli, deux premiers romans aux antipodes l’un de l’autre. L’Ogre du Salève est un polar ancré localement, qui a séduit un large public et qui a dû être réédité à plusieurs reprises. Pour ce texte, qui a initié une série d’enquêtes du commissaire Rouiller, Olivia Gerig a été invitée à la télévision, à la radio et a eu plusieurs articles. Les battantes est un roman au style époustouflant, qui a envoûté la commission littéraire d’Encre Fraîche. Elle ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisque ce roman a reçu le Prix des écrivains genevois 2018 de la Ville de Genève et de la République et canton de Genève ainsi que le Prix SPG 2020 du premier roman romand. Il a également figuré dans la Sélection Lettres Frontière 2020 et parmi les finalistes du Prix du Salon du Livre de Genève 2019.
Comment voyez-vous l’évolution du monde du livre en Suisse romande durant ces prochaines années ?
Les gens lisent et je suis convaincu qu’ils vont continuer à s’intéresser à la production romande, qui offre un très large panel d’auteur-e-s – et donc d’univers – au public, dans des genres très variés. Pour lors, les pouvoirs publics soutiennent activement cette branche culturelle et il est essentiel qu’ils continuent à le faire. D’ailleurs, chaque année, de nouvelles structures éditoriales surgissent, ce qui montre la vitalité de l’édition romande.
Et l’évolution de votre métier ?
C’est un merveilleux métier, dont il est malheureusement très rare de pouvoir vivre en Suisse romande. Le regard de l’éditrice ou de l’éditeur est essentiel selon moi dans le processus de publication. Au sein d’Encre Fraîche, nous nous efforçons de produire des livres façonnés avec le plus grand soin possible, en concertation avec leurs auteur-e-s. Le livre papier est au cœur de notre travail, c’est pourquoi nous avons fait le choix de ne pas numériser les ouvrages que nous publions. L’encre doit toujours rester fraîche !
Comment Encre Fraîche a vécu cette dernière année ?
Cette période a été difficile à vivre, car d’innombrables rencontres ont été annulées, de sorte que nous avons préféré reporter certaines parutions, plutôt que de les voir sombrer dans l’indifférence.
La RTS** titrait en mars 2021 que « Les maisons d’édition romandes croulent sous les manuscrits ».
Avez-vous décidé de publier plus que les précédentes années ?
Il semble que l’un des critères qui détermine si une maison d’édition est grande ou petite est le fait d’avoir reçu – ou pas – une avalanche de manuscrits à la suite de la pandémie. Pour notre part, nous n’avons pas vu de différence, ce qui justifierait bien notre statut de petite maison d’édition. Nous avons dû reporter des parutions, mais, au final, nous gardons notre nombre de publications habituel – pas plus de 6 titres par année – pour que nous puissions accompagner nos auteur-e-s et faire un véritable travail de promotion des livres. Au-delà, ce ne serait plus une aventure humaine, mais une course effrénée, qui nous éloignerait de nos idéaux.
Sources
* Article du 24Heures « BSN Press, la maison d’édition qui monte », publié le 30 mars 2021
https://www.24heures.ch/bsn-press-la-maison-dedition-lausannoise-qui-monte-811659848622
** Reportage de la RTS: « Les maisons d’édition romandes croulent sous les manuscrits », publié le 18 mars 2021
Retrouvez toutes les publications d’Encre Fraîche: https://www.encrefraiche.ch/livres