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Vaillantes – Noémie Moulin

Quatrième de couverture

Quatre jeunes filles terminent leurs études et se retrouvent à un carrefour.

Celui de tous les possibles et de toutes les craintes. Ensemble elles parlent, partagent, se dévoilent, pour porter haut les couleurs de leurs rêves et de leurs peines, de leurs questionnements sur le monde qui les entoure… Dans cette société où le paraître dicte souvent les codes, trouveront-elles la force d’aller regarder au fond d’elles-mêmes ce qui y vibre ?

Elles «ne comprendraient pas tout, elles allaient encore souvent essayer, se tromper, revenir sur leurs pas, s’arrêter, se reposer, puis repartir, se perdre, s’éloigner ».

Ce texte, inspiré de la vie de l’autrice et des femmes qui l’entourent, dresse le portrait de personnages contemporaines, faisant face aux injonctions et aux attentes du monde, mais qui savent aussi saisir la force qu’offrent la joie de la sororité et l’espoir de la jeunesse.

Présentation

Aujourd’hui, je vous parle d’un livre pour lequel j’ai eu un véritable coup de cœur. Le premier roman de Noémie Moulin Vaillantes, publié aux éditions Torticolis et Frères. Je l’avais repéré lors de sa sortie en juin, sans pour autant me décider à le lire. C’est finalement après discussion avec une collègue que je me suis lancée, et qu’est-ce que j’ai bien fait !

L’histoire est simple : Rose, Lila, Jade et Marine sont des jeunes femmes sur le point de terminer leurs études. Vient alors cette question fatidique : Que faire après ?

Nous les suivons tour à tour dans leurs réflexions, chacune défendant un sujet d’actualité, tel que le féminisme, la place du corps dans notre société, la maternité. Un livre intelligent, qui pousse à la réflexion et remet en cause certaines idées encore très ancrées.

Lors de ma lecture, je n’ai pu m’empêcher de trouver des similitudes avec une série que j’avais lu adolescente : Quatre filles et un jean, d’Ann Brashares. Quatre jeunes filles se rendent compte qu’un jean trouvé dans un magasin de seconde main leur va comme un gant à chacune, quand bien même elles ont toutes une morphologie différente. Chaque semaine, une des adolescentes va pouvoir porter le jean et le passe ensuite à une des amies la semaine d’après.

Pas de jean qui réunit les quatre héroïnes du roman de Noémie Moulin, mais un lieu : le café La Flemme. Chacune vaque à ses occupations, mais elles trouvent toujours le temps de se retrouver dans leur repère et se partager histoires et problèmes.

Lila, commence doucement Marine, tu n’as pas besoin de tout comprendre toute seule. On est là, nous, on va chercher avec toi. C’est comme une course de relai, toi tu cours un moment, tu tires le chariot et ensuite tu nous passes le bâton et nous qui tirons un moment.

La table se met à vibrer légèrement et Marine soulève son natel dans sa main.

Tu vois ! Même Jade alors qu’elle n’est pas là, elle se manifeste, elle est là pour toi. On est toutes là pour toi.

Lila

Les poils. J’en ai. Vous en avez aussi a priori. Quoi de plus commun ? Et pourtant, ils portent toujours la connotation de sale et négligence de soi.

C’est au détour d’une dispute sur le sujet avec son petit ami, que Lila se rend compte, ou du moins, lève la voix contre les diktats imposés sur le corps féminin. Le personnage de Lila incarne complètement les voix féministes qui s’imposent de plus en plus dans les médias, réseaux, puisque qu’elle interroge le physique et la place du corps de la femme dans une société qui le sexualise constamment. Comment se construire avec ces regards posés sur soi, moralisateurs pour la plupart, et ce, qu’importe les vêtements, le poids, la taille que l’on a ou porte ? Pour se sentir moins seul dans ses combats, elle lance un groupe de parole. Libérer la parole, s’exprimer, voilà les objectifs de Noémie Moulin dans son roman, sans jugement.

Marine

Qu’est-ce qu’être un adulte ? A partir de quand en sommes-nous un ? 18 ans ? Au premier travail ? A la fin des études ? Ce sont les interrogations qui encombrent la tête de Marine. Tout comme Lila, la question d’identité est au cœur de ce personnage, même si elle l’aborde avec un certain relâchement. A la question Qu’est-ce que tu comptes faire après tes études ?, c’est totalement détachée qu’elle affirme ne pas savoir. Un personnage qui met du baume au cœur quand le doute envahit, mettant sens dessus-dessous les projets savamment organisés. Car après tout, elle a totalement raison : la vie nous mène là où elle veut bien que nous allions. Les projets ont beau être prévus, l’imprévu chassé revient au galop. Un souffle de légèreté dans une société qui nous demande organisation, performance, alors que le laisser-aller peut être véritablement bénéfique.

Et toi alors, Marine ? Tu vas faire quoi ?

Bo. Moi tu sais, je ne prévois rien. J’y vais au talent, tu vois. La vie m’emmènera de toute façon où je dois aller, alors à quoi bon se tuer à planifier des détours…

Mais, tu ne risques pas juste de te retrouver sans rien ? demande une fille qui vient de s’asseoir. Enfin moi je peux pas me résoudre à attendre, j’ai besoin de savoir où je vais, Surtout après l’uni. Au moins que ça me serve à quelque chose d’avoir étudié tout ça.

Ah ça… soupire Marine. Je ne suis pas sûre que l’uni m’ait apporté grand-chose, mais fallait bien aller quelque part.

Une espère de silence envahit le groupe, malgré le bruit de la fête juste derrière. Les regards sont partis dans le vide et les esprits semblent occupés à faire tournoyer ces quelques mots dans tous les sens.

Jade

Dans les journaux, vous avez peut-être pu lire que certaines entreprises ont décidé de tester la semaine de quatre jours, payés comme cinq. Il y a une prise de conscience concernant le bien-être des employés. Or, pour de nombreuses personnes encore, la réussite n’est possible qu’en travaillant beaucoup, cumuler les heures supplémentaires, négligeant vie sociale et parfois sa santé.

Jade apparaît rarement avec ses amies, car son emploi du temps et largement rempli avec des responsabilités de son travail, de plus en plus importantes, malgré son statut de stagiaire. Mais il faut bien ça pour décrocher un emploi fixe. Toutefois, son corps la fait ralentir le temps de quelques semaine, traumatisé par une fausse couche arrivée quelques années plus tôt. Un sujet peu abordé dans les médias, tabou, qui concerne pourtant beaucoup de femmes. Une femme sur cinq, à vrai dire. Jade raconte son vécu au travers d’enregistrements, qui lui permettent de se rappeler – douloureusement – cette période de sa vie. Une histoire qu’elle partage au compte-goutte avec ses amies. Ce témoignage qui permet de se sentir moins seule face à cette épreuve encore invisibilisée.

Ces derniers jours ont été lourds. À tous les moments, je repense à ce qu’il s’est passé en fin d’été, il y a près de deux ans. Je sais très bien que ce n’est pas un hasard si ces pensées me viennent maintenant, à trois mois de la fin de l’été. Je crois que mon corps sait. J’ai beau lui répéter que c’est passé, que tout va bien, que nous sommes en sécurité et que nous pouvons passer à autre chose… il est borné et il tient à se rappeler. J’ai réécouté l’enregistrement que j’ai fait l’année passée à la même date. Je n’ai pas terminé de raconter. Ce n’est pas comme si qui que ce soit attendait la suite.

Mais aujourd’hui j’ai du temps, ce qui une chose rare. Je suis consciente que ce n’est pas normal d’être surmenée à ce point si tôt dans une vie, dans une carrière. Mais ça semble aller comme ça, pour le moment. Alors bon. Peu importe, reprenons l’histoire de ces quelques jours, fin d’un été d’amour, début d’un hiver intérieur infernal.

Rose

Noémie Moulin se cache dans chacune des filles, leur donnant à toutes une petite part de sa personnalité. Mais c’est dans le personnage de Rose qu’elle se retrouve le plus. Rose veut être écrivaine. Jeter ses pensées sur le papier lui permet d’avancer, elle veut raconter les histoires des uns et des autres. Émouvoir, questionner. Mais la jeune femme se fait une montagne de l’écriture, un mont qui culmine, caché derrière les nuages de doutes, de pression qu’elle s’inflige. C’est bien quelques phrases, bouts de textes sur le bord d’un cahier neuf qu’elle rédige lorsque les nuages s’éloignent de son esprit. Mais la satisfaction est rarement au rendez-vous.

L’auteure met ainsi le doigt sur quelque chose d’important : le processus de création est relativement solitaire, c’est grâce aux encouragements et le soutien des proches, que les projets peuvent devenir palpables.

Le personnage de Rose permet ainsi à Noémie Moulin d’exposer les doutes, renoncements, petites victoires aussi, qui entravent le chemin de la création. Elle montre qu’un roman, tout comme Rome, ne se créer pas en un jour. Son évolution n’est pas croissante, ni linéaire. Des retours en arrière certains jours, des petits pas d’autres et parfois de grandes avancées.

L’idée de la légitimité dans l’écriture est présente dans le roman. Qui peut écrire ? Sur quels sujets ? Faut-il avoir vécu soi-même pour pouvoir écrire ? Ou est-ce qu’une documentation approfondie est suffisante ?

Cela me fait penser aux réflexions amenées en début d’année, lors de l’investiture de Joe Biden. La poétesse Amanda Gorman, écrivaine noire, a déclamé un de ses poèmes lors de passation de pouvoirs entre les présidents sortant et entrant. Le texte a été traduit en français, mais alors, fallait-il choisir aussi une traductrice noire ? De longs débats avaient été lancés et c’est finalement l’auteure et compositrice Lous and the Yakuza qui a pu traduire The Hill We Climb and Other Poems.

Chacune des amies développent leur point de vue sur la question de la légitimité et finalement, nous comprenons que c’est justement ça, la littérature : des mots qui permettent le temps d’une histoire de se plonger dans une époque, une vie, différente de la nôtre.

Le féminisme est au centre du roman, chacun des personnages à leur propre manière, se l’appropriant. Virgine Despentes tape fort avec ses romans, un ton dur, intransigeant, tandis que Noémie Moulin l’impose tout en douceur, interrogeant au travers de l’évolution de ses personnages, sur des questions de société. Tous les sujets sont abordés avec beaucoup de délicatesse, dû à une écriture élégante et poétique. Des phrases longues, qui prennent le temps, nous plongeant dans les pensées de chacune.

Féminisme, doutes, construction de soi, écriture poétique et délicate, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce premier roman un véritable coup de cœur. Et j’attends déjà avec impatience les prochains romans de cette auteure talentueuse !

Informations générales

Éditeur : Torticolis et Frères

https://www.torticolis-et-freres.ch

Date de parution : Juin 2021

Prix indicatif : Fr. 15.-

Nombre de pages : 215 pages

 

Pour aller plus loin :

– Article de Numéro, « Qui est la poète Amanda Gorman, voix engagée de l’Amérique ? », du 20 avril 2021

https://www.numero.com/fr/culture/amanda-gorman-joe-biden

 

– Article de la RTS, « Faut-il généraliser la semaine de 4 jours de travail, payés comme 5 ? », du 6 novembre 2019

https://www.rts.ch/info/economie/10844233-faudraitil-generaliser-la-semaine-de-4-jours-de-travail-payes-comme-5.html

 

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