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Marta et Arthur – Katja Schönherr

Quatrième de couverture

Marta était à peiné sortie de l’adolescence quand elle a rencontré Arthur, l’homme aux yeux menthe givrée. Et voilà qu’Arthur est mort, étendu à ses côtés. Tout au long de la journée tourmentée qui suit ce mystérieux décès, les souvenirs remontent pour dérouler l’histoire d’une relation faite de non-dits, d’incompréhension et de petites cruautés. Quarante années, au cours desquelles Marta a pris soin de peigner tous les jours les franges du tapis pour qu’elles soient bien droites, tandis qu’Arthur montrait plus d’affection pour son aquarium que pour son propre fils. Propulsée par son extrême sensibilité littéraire, Katja Schönherr nous offre un premier roman palpitant et glaçant sur deux êtres aussi incapables de vivre ensemble que l’un sans l’autre.

Présentation & avis

Arthur n’est pas à proprement parler son mari. Car il ne voulait « surtout pas » l’épouser. Marta l’appelle quand même « mon mari » ; ils ont un enfant en commun et se partagent cet appartement depuis quarante ans. Est-ce qu’Arthur réciproquement disait aussi « ma femme », à supposer qu’il ait jamais parlé d’elle avec d’autres ? Elle se l’est demandé à chaque regard sur leur sonnette, où figurent leurs deux noms au lieu d’un seul commun, comme il se doit. Et elle continuera sans doute à se le demander à l’avenir.

Tout au long de ce premier roman, Katja Schönherr nous parle de la peur de l’abandon. Quitter l’enfance et arriver à l’âge adulte trop tôt, l’homme que l’on aime, alors que l’on sait pertinemment que notre histoire n’a plus d’avenir, recommencer. Et se retrouver seul. En effet, Arthur et Marta se rencontrent lorsqu’elle est très jeune et restent ensemble, malgré le fait qu’Arthur se désintéresse de Marta très rapidement. La difficulté à communiquer et finalement mettre un point final à une histoire nocive. La mort d’Arthur permet enfin de la libérer de cette relation toxique.

Jamais mariée, à la volonté d’Arthur, Marta se retrouve seule devant le cadavre de son compagnon. Mais pourtant, elle ne peut se résigner à appeler son fils pour l’avertir de la mort de son père. Car informer, c’est changer de statut, c’est accepter ce qu’il s’est passé et signifie alors qu’il faudra avancer et recommencer. Or, Marta ne peut pas. Et comment le pourrait-elle d’ailleurs ? La narration jongle entre le passé et le présent, et nous apprenons les circonstances de leur rencontre, mais également l’enfer dans lequel, peu à peu, Marta glisse en s’accrochant à Arthur. Cet enfer qui atteint son apogée lorsqu’elle lui apprend qu’elle est enceinte et qu’Arthur refuse tout simplement de s’occuper de l’enfant. Toutefois, ce deuil met en avant le fait qu’Arthur et Marta étaient devenus des étrangers l’un pour l’autre ; à se demander même s’ils n’ont jamais été proches. Alors qu’elle contemple le corps de son compagnon, elle ose enfin le découvrir et le toucher, ce dernier qu’elle transformera en mannequin, comme au centre commercial dans lequel elle travaillait.

L’horloge de l’église sonne. Cette fois, Marta fait attention et compte : il est cinq heures du matin. C’est à peu près l’heure à laquelle Arthur est mort hier. Elle repense au silence, à ses propres mains crispées et au moment où elle a boxé le flanc d’Arthur et senti ses côtes. Des étoiles brillent au-dessus de Marta. Elle voit la Grande Ourse au plafond, avec des liaisons qui ressortent. Est-ce un hasard, ou a-t-elle fait exprès de placer les étoiles comme ça ? Marta comprend peu à peu qu’elle se trouve dans la chambre d’enfant, dans le lit de son fils. Pendant vingt ans, Michel a regardé ce firmament avant de s’endormir – et depuis son déménagement il n’a plus passé une seule nuit ici.

Hébétée, Marta se lève, tapote l’oreiller, replie la couette et la lisse. Des actions qui lui viennent par habitude, même dans le noir. Elle va boire un verre d’eau dans la cuisine et se passe du baume du tigre sur ses tempes qui palpitent douloureusement. Elle aime bien cette petite boîte en métal rouge et or et la sensation de brûlure sur la peau. Puis elle va dans le salon.

Mais ce n’est pas possible ! s’écrie-t-elle

D’une écriture incisive et pourtant très poétique, l’autrice explore pleinement le thème de la violence morale, et notamment dans le cadre familial. D’une part, Marta tente de sauver son couple à travers son fils, alors qu’Arthur lui dit très clairement que son fils, il ne veut rien avoir à faire avec. Finalement, tout l’amour que Marta porte à Michel, qui l’étouffe, se retourne contre elle puisqu’il suit le comportement de son père, et humilie constamment sa mère. Ainsi, Katja Schönherr nous interroge sur la place d’un enfant dans le couple et notamment le fait que certains couples décident de créer une famille pour relancer leur relation.

Par ailleurs, nous apprenons que Marta vient d’une famille totalement éclatée et que la jeune femme n’a aucune valeur aux yeux de sa mère. Entre insultes et coups bas, c’est par instinct de survie qu’elle se voit dans l’obligation de quitter la maison familiale. Des agressions quotidiennes qui formatent Marta à la femme qu’elle deviendra dans son couple avec Arthur, effacée et soumise. Ainsi, la forme de harcèlement que Marta subissait avec sa mère se transfère dans sa relation avec Arthur, même si au début, il lui a servi de bouée de secours.

Pourtant, plus elle tente de s’accrocher à cette relation, plus Arthur la rejette, la trompe, au point de devenir deux étrangers à la fin de sa vie. Ce roman raconte le feu dévorant de l’amour de jeunesse, qui parfois, finit de se consumer en enfer de glace.

Il finit par refermer le cahier. « Marta », dit-il. Il répéta encore trois fois son prénom avec son R méridional, enflé, jusqu’à ce qu’elle relève les yeux et le regarde en face. « Je veux seulement que tu réussisses tes examens. », murmura-t-il. Sa moustache semblait étouffer ses mots un peu plus. « J’aimerais bien te voir plus souvent, mais ce ne sera possible que quand tu ne seras plus au lycée. Malheureusement. »

Dès qu’il fut parti, Marta alla au bassin de plongée. Elle sauta, pour la seule fois de sa vie, du plongeoir de cinq mètres. Elle ne pensa pas du tout à la hauteur, ni au geste brusque d’Arthur. Elle ne pensa qu’à une chose en sautant : avait-il vraiment dit « malheureusement » ?

Marta se rend compte qu’elle est bien plus amoureuse d’Arthur qu’il ne l’est d’elle et surtout, qu’il n’apprécie pas de perdre sa liberté. Il va tenter de la faire emménager dans un autre studio mais elle refusera catégoriquement. Elle s’accroche à cet amour et lui fait un enfant. Ce qui achèvera leur relation. Relation dans laquelle Arthur se sent piégé et en souhaite le terme. Et Marta signe la fin de son indépendance, notamment par le fait qu’elle ne termine pas sa formation de décoratrice de vitrine et décide de se vouer corps et âme à sa vie de famille, si nous pouvons l’appeler ainsi. Alors qu’il n’en souhaite pas. D’ailleurs, tout le long du roman, nous découvrons une jeune femme qui tente par tous les moyens de satisfaire les besoins d’Arthur, avant même qu’il ne les ait formulés. Ne pas faire de vagues, c’est ainsi qu’elle imagine qu’il l’aimera et la supportera à nouveau. Toutefois, elle finira totalement engloutie.

Les sujets abordés dans ce premier roman sont terriblement lourds. Toutefois, la plume efficace mais terriblement poétique de Katja Schönherr les écrit avec beaucoup de justesse, sans jamais tomber dans le mélodramatique ou le kitsch.

C’est un roman que j’ai vraiment beaucoup aimé et dont j’avais du mal à le poser pour retourner travailler. Évidemment parce que le sujet me parle, mais également parce que l’autrice a utilisé un angle intéressant pour traiter ces sujets difficiles. Par ailleurs, la narration qui se déroule entre le passé et le présent me plaît terriblement, puisqu’elle donne un rythme au texte. S’il n’avait été question que de leur rencontre ou de la découverte du corps d’Arthur, il me semble évident que le texte aurait perdu beaucoup de sa pertinence, puisque l’autrice met constamment en parallèle l’idéalisation que Marta fait d’Arthur, même à sa mort alors que le dessous des cartes de leur rencontre la fait éclater.

Le personnage de Marta est vraiment très attachant, même si finalement j’éprouve une certaine pitié pour elle, et Arthur, qui paraît être un homme respectueux, descend de son piédestal au fil des pages et nous découvrons le côté sombre de chacun des protagonistes.

Bref, vous l’aurez compris, j’ai été conquise par le premier roman de Katja Schönherr et j’attends les prochains avec impatience !

Informations générales

Éditeur : Zoé

https://editionszoe.ch/livre/marta-et-arthur

Date de parution : Février 2021

Prix indicatif : Fr. 29.90

Nombre de pages : 256 pages

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