Quatrième de couverture
« Pauvre type ! » Prononcée avec calme par un adolescent dans une file de supermarché, cette interjection bouleverse son destinataire, le héros de ce livre. Sans le savoir, l’adolescent vient de fissurer la vie intérieure d’un homme qui se protège par une routine sans faille, sûr qu’il est qu’aucun événement extraordinaire ne doit venir briser la logique implacable de l’existence qu’il s’est construite.
Pour éviter que son monde ne vacille, l’homme se résout à s’enregistrer sur son téléphone portable. Il raconte son quotidien : le travail, la bibliothèque, les collègues, le tapis de course, les quelques amis, la famille, la multitude de livres lus pour trouver quelques rares phrases à ajouter à son petit panthéon privé. Rien n’y fait. Le «Pauvre type» le hante.
Présentation
Alors qu’il attendait à la caisse d’un supermarché, un adolescent demande au héros du roman s’il peut le dépasser pour payer. Non. Silence dans la file, et le jeune lui lâche un « Sale type », qui va fissurer petit à petit la muraille d’habitudes et de principes de l’homme. Le roman suit alors les réflexions du personnage, qui s’enregistre sur ton téléphone portable.
Quotidien
En l’espace d’une année, nos habitudes, le quotidien, la vie que nous connaissions et qui nous rassurait, a totalement évolué, changé – pour le meilleur et pour le pire. Et pourtant, nous n’avons pas eu le choix. Peut-être que certains auront développé de nouvelles habitudes, pour contrer les anciennes. Mais en créer signifie que l’on recherche inévitablement une certaine stabilité, qui est nécessaire à notre bien-être. Pourtant, dans ce roman, cette volonté de tout fixer cache la peur du changement.
Tout est bien ficelé dans la vie de tous les jours du héros. Rien ne peut, et surtout, n’a le droit de déroger aux règles fixées. Responsable du Secteur Littérature et Philosophie à la grande bibliothèque, il règne en maître et est craint de ses collègues. Il s’impose, remet à leur place ceux qui osent se montrer, le temps d’une réflexion, plus intelligent que lui. Des phrases assassines, tout droit tirées de son petit panthéon privé.
C’est avec son collègue Bernard, qu’ils critiquent, amochent et rabaissent ceux qui se permettent d’avancer leur pion un peu trop proche de leurs tours. Au point de traiter à son tour un de ses collègues de sale type, comme si la phrase doit être prononcée, lancée plus loin pour pouvoir mieux la digérer.
Lorsqu’il rentre chez lui, il court sur son tapis. 15 kms. Chaque jour. Une course immobile, qui lui permet de réfléchir, ressasser ses journées et se rassurer quant à son rôle à la bibliothèque. Lui qui est si important. Lui qui a tant lu. Paradoxalement, le tapis de course, qui est au centre de sa vie – et du roman, vu le titre – lui permet de se libérer de sa routine. Mais en courant tous les jours sur ce tapis – et non pas à l’extérieur pour changer – il la renforce.
Il bouge, pourtant, il fait du surplace. Or, tout bouge autour de lui : Ses enfants grandissent, son collègue et ami Yannis souhaite obtenir le poste de responsable du Département Discothèque. Qu’il le veuille ou non, il va devoir sortir de sa zone de confort pour rester dans la course avec son quotidien qui évolue. Quand bien même c’est difficile et effrayant.
Gustave a repris : Papa, tu ne dois pas te fâcher, tu dois me faire confiance. Ouvre les yeux et regarde derrière le canapé. J’ai regardé. La cage des perruches était là, avec à l’intérieur deux oiseaux roses plutôt grands qui ne bougeaient pas. Ce sont des perruches de Bourke, clamait Gustave. J’ai eu de la peine à les trouver, je les ai payées moi-même, ce sont les oiseaux les plus silencieux que l’on puisse imaginer. En discutant avec maman, elle m’a dit que tu ne verrais pas d’un bon œil que je reprenne des oiseaux, que tu avais besoin de calme, qu’elle te connaissait. Alors j’ai cherché, non pas une solution, mais la solution.
Confiant, Gustave attendait que je réagisse.
Ma femme se tenait à côté de notre fils, fière de lui. Gustave est peut-être l’enfant que j’aurais voulu être. Je me suis approché des deux nouvelles perruches, perruches de Bourke, a précisé une nouvelle fois Gustave, j’ai ouvert la grille et j’ai passé une main dans la cage. J’ai pu caresser les deux perruches sans qu’elles ne piaillent. Toi aussi tu pourras les apprivoiser, tu vois papa, il y a toujours une solution, c’est ma devise, je l’ai inscrite dans mon agenda scolaire. Quand on trouve de bonnes phrases, il ne faut pas les oublier, c’est toi qui me l’as dit.
J’ai dévisagé mon fils.
Que sait-on des êtres qui nous entourent ?
Implosion du sale type
Au fil des ans, le héros s’est construit une bulle d’habitude, épaisse, entourée de sa femme et ses enfants, ses collègues et amis Bernard et Yannis, son rôle de responsable à la bibliothèque et son tapis de course. Une zone de confort où tout est calculé. Le hasard n’est pas invité. Or, l’adolescent du centre commercial fissure légèrement cette muraille et appuie exactement là où ça fait mal. Parce que ce n’est pas une insulte et pourtant, c’est bien pire. Elle s’invite dans l’esprit du héros, tournant comme la roue d’un hamster. Au début, du roman, c’est de la pitié que l’on a pour le personnage. Atteint par les piques du jeune, on le voit qui se débat avec sa conscience, une potentielle remise en cause. Et pourtant, plus les pages se déroulent et plus le mépris pour ce personnage prend le dessus. Antipathique, des principes moraux douteux, dont il ne déroge pas. En somme, une véritable tête à claque. Jusqu’au deux tiers du livre, l’auteur nous laisse croire que son roman c’est ça : les gens sont incapables de changer. Une fois le caractère définit, il leur est impossible de s’améliorer, d’évoluer. Ils restent dans leurs travers et tant pis.
Or, alors que les dernières pages sont bientôt tournées, il y a un changement. Presque imperceptible et pourtant il est bien là. Petit à petit, il se remet en cause, voyant que les autres évoluent autour de lui et qu’il reste coincé sur son tapis de course. Prendre le risque de sortir de sa zone de confort semble certes dangereux, mais parfois, c’est bénéfique et nécessaire pour ne pas être laissé dans l’ombre.
Aujourd’hui le temps est radieux. Je roule sur une des plus belles routes du monde, je vis dans un des plus beaux pays du monde, je n’ai rien à craindre, j’ai des assurances sociales performantes, je risque peut-être de grossir de deux ou trois kilos, j’ai de l’argent sur un compte en banque, j’ai un taux de cholestérol idéal, je n’envie personne, j’ai un taux hypothécaire favorable, je fauche ce qui m’importune, depuis dix ans je suis le responsable du Secteur Littérature et Philosophie de la grande bibliothèque, j’ai un prime à la fin de chaque année, dans moins d’une demi-heure je serai sur mon tapis de course, le cardiofréquencemètre dernier cri attaché autour de mon thorax, je pourrai courir comme il le fait, méthodiquement, passionnément, j’ai atteint un équilibre élevé et je sais comment m’arranger avec ce qui pourrait me froisser avec moi-même. J’ai seulement un compte à régler, un seul, le jeune homme du supermarché, celui qui a osé me provoquer en public. A cela j’y pense encore, et quand elle se présentera – et je ne doute pas qu’elle se présentera –, je ne raterai pas l’occasion.
Redresser mes torts.
Voilà qui me démange.
Me fouette le sang.
C’est avec une écriture très délicate, écriture qui m’avait déjà beaucoup émue dans son roman Sans Silke, que Michel Layaz nous brosse un portrait de société. Autocentrée, mais pourtant, capable de lever les yeux et d’observer, de changer.
Tout comme le changement peut prendre le temps, son écriture est lente et observatrice.
Les conséquences d’une phrase lancée dans un magasin, qui aura un effet boule de neige sur le héros, nous montrent que même les personnes les plus apathiques sont capables de s’améliorer, même si cela prend du temps.
Informations générales
Éditeur : Zoé
https://www.editionszoe.ch/livre/le-tapis-de-course-2
Date de parution : août 2013
Prix indicatif : Fr. 26.–
Nombre de pages : 160 pages